mardi 28 juin 2016

Kolda: Coupe abusive de bois- Ces manquements qui détruisent la forêt

24 ans après la tenue de la conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement à Rio, l’Etat du Sénégal cherche toujours une solution définitive à l’épineuse question de la préservation de ses dernières réserves forestières, notamment celles qui se trouvent en Casamance, dans sa partie septentrionale, à Médina Yoro Foula, zone frontalière avec la Gambie.
Malgré, l’alerte faite le 17 juin dernier, par les ministres de l’Environnement et du Développement durable, des Forces Armées et de la Sécurité publique, et de l’Intérieur, lors de leur déplacement dans cette localité de la région de Kolda, on constate avec regret que la bande de canailles qui envahissent encore ces parties sud du Sénégal continuent de piller sans scrupule ce qui reste de la forêt de la commune de Koulinto. Ici, plusieurs arbres, de troncs et de planches se retrouvent par terre par-ci et par-là.
Il faut le rappeler, de Sébikotane, où était produit le charbon pour les besoins énergétiques des foyers de Dakar, actuellement ces insatiables besoins, qui se sont considérablement accrus par ailleurs, sont en tain d’être satisfaits dans la région de Kolda, capitale du Fouladou.
Dans la localité de Médina Yoro Foula, la situation est plus grave depuis l’arrivée des chinois en terre gambienne, le phénoméne dit de coupe abusive de bois a pris des proportions inquiétantes. Des personnes sans le moindre permis de coupe passent tout leur temps à couper les arbres de la forêt.
Ces gens qui exercent cette activité clandestine du bois ont pour cible entre autres les variétés de bois suivants : le vène (Pterocarpus erinaceus), le Kapokier (Bombax costatum) et le Dimb (Cordilla pinnata).
Des brigands intimident des citoyens par des armes à feu
La profondeur du mal est beaucoup plus complexe dans cette zone que partout ailleurs. C’est du moins la conviction du secrétaire général régional des écologistes du Sénégal, El hadj Hamidou Diallo, parce que dans cette zone, il a surtout affaire à du banditisme d’Etat au premier degré.
Il arrive parfois, que certains brigands intimident par des armes, des citoyens qui ont la velléité de s’opposer à leurs desseins, mettant ces paisibles paysans que l’on qualifie péjorativement «complices», dans une mauvaise posture : résister et subir les conséquences, autrement, collaborer et partager les maigres dividendes.
La morale populaire réprouve qu’un paysan qui se meut dans une économie de subsistance, mu par la seule ambition de nourrir sa famille, parcourt avec des moyens rudimentaires, environ 10 à 15 km pour vendre une production d’une valeur d’à peine 3000 francs CFA.
Et par mégarde, rencontre l’agent des services des Eaux et forêts affectés à la préservation de la ressource, qui ipso facto applique une transaction basée sur la répression. De fait, se saisit de la cargaison et laisse ce malheureux paysan rentré bredouille et parfois à pied. Sur le chemin du retour très anéanti par l’amertume, il rencontre une remorque, transportant le même produit à l’échelle d’économie de marché et supposée posséder un permis régulier ou gratuit», a-t-il expliqué.
Prenant toujours la défense des paysans, demande-t-il, si «c’est ce paysan dépouillé, que l’on croit convaincre d’éveiller sa conscience citoyenne et son esprit de patriotisme pour collaborer avec les mêmes services en charge de la préservation de la forêt. C’est une alchimie qui semble difficile à réussir», a-t-il expliqué, avant de dévoiler les limites des fonctionnaires. Qui, selon lui, «ont souvent un bon savoir-faire technique qui ne souffre d’aucun doute. Mais, faut-il le reconnaitre, il leur manque parfois des capacités de communication et un modus operendis adaptés à leur milieu d’intervention. Ils n’intègrent pas dans l’action, la dimension socioculturelle et toute la perception que les populations éprouvent à l’égard de la forêt. Les autochtones riverains des massifs forestiers, estiment légitime l’exploitation durable de la ressource naturelle, qu’ils considèrent comme une alternative économique, pour plusieurs de leurs ménages dans la stratégie de survie face à une pauvreté galopante».
Le refus des chefs de villages de coopérer avec la Mairie
L’exploitation abusive de la forêt a pris de l’ampleur depuis quelques temps, c’est parce que certains chefs de villages de la commune au lieu de soutenir la mairie dans la lutte contre les personnes qui abattent sans aucune autorisation de coupe préfèrent les soutenir.
Pourtant j’ai fait le tour de tous les villages de la commune pour sensibiliser les chefs de villages sur les risques qui pèsent sur la forêt si jamais nous n’arrêtons pas ce phénomène. Ils disent oui mais ne font rien au finish pour combattre ces destructeurs de notre forêt.
Ils les hébergent chez eux juste pour des dividendes. A la place de l’intérêt général, ils priment l’intérêt particulier. Comment vous voulez qu’on arrive à sauver la forêt de ce qu’elle subit depuis quelques temps.
En général, ces gens nous viennent de la Gambie. Etant des gambiens, ils n’ont pas de permis de coupe mais ils franchissement la frontière et coupent comme bon leur semble nos arbres et les transportent chez eux.
Ils ne peuvent pas faire ça tout seuls s’ils ne sont pas aidés par des gens qui connaissent notre brousse. Ils sont aidés par des sénégalais, parce qu’ils ne connaissent pas notre forêt. Ils sont conduits dans la forêt par ces complices. Certains disent même que les mairies sont aussi des complices, c’est faux. Aucun maire ne peut être complice de ces gens. Les maires sont dans l’obligation de préserver l’environnement contre les destructeurs. Les maires sont en train de combattre jour comme nuit toutes les personnes qui sans permis de coupe des arbres de la forêt.
100 charrettes, 10 vélos, 2 motos et autres… immobilisés
Les permis de coupe, ce n’est pas la mairie qui délivre ce document. La mairie donne ce qu’on appelle une autorisation préalable qui est amenée chez les services des Eaux et forêts pour obtenir un permis de coupe. Les gens font la confusion entre autorisation préalable et permis de coupe. Ce dernier est livré par la direction des Eaux et forêt et sans celui-ci la personne n’a pas le droit de couper du bois. Tandis que l’autorisation préalable de coupe n’est destinée qu’à couper du bois mort.
Ce que nous attendons de l’Etat est de doter de moyens logistiques et humains les zones affectées par les coupes abusives de bois. En tant que maire, à l’absence des agents des Eaux et forêts, je pars en brousse avec mes enfants pour traquer ces gens. Nous utilisons nos moyens du bord. Des fois, je loue une voiture à 25 mille francs Cfa pour acheminer chez moi, les charrettes, vélos et motos. Nous allons dans les points où les coupeurs y vont aussi. De là, il arrive que nous surprenons les coupeurs. Des fois quand ils nous apercevaient, ils détachent le cheval ou l’âne de la charrette et courent avec laissant derrière eux la charrette. Ils franchissent la frontière et entrent en Gambie.
Des fois je demande à une dizaine de jeunes de m’accompagner dans la brousse. Et pour s’y rendre nous utilisons des charrettes ou des vélos, ce ne sont pas des moyens qui nous permettent de mener à bien le combat contre les coupeurs illégaux des arbres de la forêt.
Je me souviens un jour j’étais parti m’enquérir de ce qui se passe dans la forêt et je suis tombé sur des charrettes mais je ne pouvais pas les amener parce que je n’ai pas de moyens me permettant de les acheminer chez moi.
Si j’avais une voiture à ma disposition et un personnel, je pouvais les amener. Actuellement, nous avons mis la main sur 100 charrettes, 10 vélos, 2 motos et des chevaux (voir images). Ils sont chez moi (Ndlr, maison du maire). Depuis que nous les avons amenés ici, personne n’est venue réclamer quoique ce soit. Ils n’osent pas, parce qu’ils sont conscients que ce qu’ils font est interdit.
Des chevaux et des ânes sont morts ici parce que leurs propriétaires ne viennent pas les chercher. Vous voyez ce cheval mourant (voir image). Il est là depuis plus de trois (03) jours. Tant que les propriétaires ne viennent pas les chercher nous les gardons ici.
Manque de moyens et de logistiques, cri de cœur des agents des Eaux et forêts
Des agents des services des Eaux et forêt jour comme nuit sillonnent la brousse. Même s’ils reconnaissent qu’ils ne sont pas en nombre suffisant, ils mènent le combat contre les coupeurs de bois. Même s’ils ont opté pour ce travail, ils ont besoin de plus de moyens humains et logistiques afin de réduire, voire mettre fin aux agissements des ennemis de la forêt.
Sous le couvert de l’anonymat, d’emblée, cet homme précise, «Ces gens font la dure tête. Ils ont dit qu’ils vont couper les arbres de la forêt tant qu’il est en existera. Ils disent qu’ils vont le faire jusqu’à Kolda et personne ne peut les arrêter. Mais on verra s’ils vont y arriver. Ils sont partis de Médina Yoro Foula pour Kolda. Plusieurs zones sont déjà dévastées. Parmi ces coupeurs de bois, il y a des gambiens qui sont hébergés par des sénégalais dans les villages. Comme ils ne connaissent pas la brousse, ce sont les gens du village qui les conduisent dans la brousse. Ce sont des complices pour des dividendes».
Et de dévoiler : «Ils ont un réseau. Il y a ceux qui sont dans la brousse et ceux qui restent dans les villages. Ce sont ces derniers qui transmettent toutes les informations à ceux qui sont dans la brousse. Dés qu’ils vous voient partir en brousse, ils les appellent pour les en informer. Et avant d’arriver, ils se sont fondus dans la nature. Des fois, ils laissent derrière eux soit leurs charrettes soit leurs motos. Et même si on trouve les matériels sur place on a du mal à les acheminer à la maison, parce qu’on a ni de voiture encore moins un personnel suffisant pour faire ce travail».
Des fois, poursuit-il, «Nous risquons nos vies en faisant ce travail parce que ces gens que nous trouvons dans la brousse sont armés jusqu’aux dents. Si tu est seul, ils vont te tuer ça c’est clair. Si tu dois aller dans la brousse, il faut aller en équipe c’est mieux même ça c’est un risque. Mais comme notre devoir est de protéger la forêt contre ces personnes, nous n’avons pas de week-ends. Nous travaillons tous les jours, jour comme nuit. C’est difficile de mettre la main sur les exploitants clandestins, parce que avec nos motos quand ils entendent le bruit, ils se cachent dans la forêt ou vont en Gambie».
Harmoniser les textes du Code de l’environnement, Code forestier, et de décentralisation
Pour sauvegarder ce qui reste encore de forêts, les acteurs invitent les autorités à aller plus loin dans l’hardiesse de la nouvelle politique. Et parmi les recommandations faites, figurent entre autres, il est conseillé de faire le toilettage et l’harmonisation des textes du Code de l’environnement, Code forestier, et de décentralisation et une vulgarisation des principes fondamentaux de ces codes auprès des acteurs pour qu’ils aient une bonne et même compréhension et sachent leur rôle et leur responsabilité dans la gestion de la forêt. Ce, pour palier à la mauvaise compréhension, le manque d’information et la maitrise des textes en matière de décentralisation et de gouvernance environnemental par les populations et les élus locaux.
L’Etat doit aussi Prendre toutes les dispositions nécessaires en contrôlant le niveau des prélèvements de la ressource et en veillant à la reconstitution du potentiel forestier et faunique. Pour cela, il faut exiger, une parfaite adéquation entre les permis d’exploitation délivrés et la quantité des produits forestiers mis dans le marché. Dans ce cas, il faut s’assurer que ces permis de coupe ne soient pas gratuits et qu’ils aient une durée de validé que nul ne peut proroger ou falsifier.
Il est aussi souhaité d’ériger en Réserve communautaire naturelle, la moitié des territoires amodiés pour la chasse et attribuée à des privés, dont les retombées socioéconomiques restent marginales sur le vécu quotidien des populations et cela depuis les années 79.
L’Etat doit également appuyer les collectivités ayant en charge la gouvernance environnementale à exercer dans les réserves, la compétence transférée et améliorer leur pratique en matière de gestion responsable des ressources naturelles. Et promouvoir un dialogue politique et social entre élus, autorités administratives et citoyens, aux fins d’instaurer un contrôle citoyen et exercer une gestion démocratique et transparente des affaires de la ressource. Permettant ainsi, d’améliorer durablement les conditions de vie des acteurs.
… Mise en place des réserves communautaires
Dans une dynamique de mondialisation, le gouvernement devait appuyer les collectivités locales à porter un plaidoyer pour capter les fonds de crédits carbones aux profits des réserves communautaires et répliquer les modèles de l’écotourisme et la protection faunique et forestière réussi ailleurs (Kenya, Namibie…) dans la gestion de forêts communautaires. Et par ailleurs, encourager l’apprentissage social et l’innovation dans les métiers verts, en recrutant et formant des jeunes filles et garçons comme éco-garde encadré par les services des Eaux et forêts, affectés à la surveillance des réserves communautaires.
Dans une stratégie de potentialiser le capital humain, aménager les zones dénudées par les défrichements des galeries forestières, afin que la moitié des exploitants forestiers se recyclent dans l’arboriculture forestière. Avec le concours des partenaires aux développements les soutenir financièrement et techniquement afin qu’ils y mènent des activités de production de bois destinés dans l’avenir industries de menuiseries.
Ce que la Gambie doit faire contre ce phénomène
Dans cette optique, les acteurs demande à l’Etat du Sénégal d’envoyer une mission diplomatique «militarisée» prés du Président Yahya Jammeh, afin de lui faire comprendre, que le Sénégal tient, non seulement à une coexistence pacifique et à l’amitié des peuples, mais aussi fermement, que nous n’accepterons plus qu’un Etat étranger commande à partir du port de Banjul un produit forestier que la Gambie n’est pas en mesure de produire sur son territoire.
Pour combattre ce phénomène de la coupe abusive du bois, le Président Macky Sall a annoncé une batterie de mesures. «Nous n’allons pas dévoiler ces mesures, mais prochainement c’est avec l’effet surpris que nous allons avoir beaucoup de résultats. Nous sommes prêts à tout moment pour intervenir. Nous avons commencé ce travail. Déjà les forces de défense et de sécurité sont à pied d’œuvre. Des actions d’envergure vont être menées et nous allons maintenir cette pression au moins pendant un mois. Ce sont des solutions urgentes d’abord pour ratisser et nettoyer après des solutions mieux planifiées seront exécutées.
Vers la répression des exploitants véreux
Plus de 330 charrettes, des chevaux entre autres matériels sont saisis par des éléments des services des Eaux et forêts de Médina Yoro Foula. Une des localités les plus touchées par la coupe abusive de bois. En ce qui concerne ces saisies, rassure le ministre de l’Environnement et du développement durable, Abdoulaye Bibi Baldé, «seront détruites parce que c’est de la fraude donc il faut les détruire. Ce sont des instructions du président de la République, Macky Sall. Nous constatons tous que la destination finale de ce bois n’est pas le Sénégal. Donc pour nous c’est de l’exportation frauduleuse. Il faut alors l’arrêter».
Le Sénégal a préparé un dossier à la convention internationale sur le commerce des espèces de faune et de flore menacées. L’objectif du Sénégal en essayant d’inscrire le bois de véne dans cette convention c’est de limiter son commerce sur le plan international. Autant sur le terrain nous travaillons et autant sur le plan institutionnel nous avons pris les devants pour empêcher ce commerce international du bois de véne
Nous allons combattre tout ce qui est illégale. Pour cela, nous ne sommes pas venus les mains vides. Nous proposons des solutions alternatives aux populations. C’est dans ce cadre que nous avons donné des instructions au directeur des financements verts voir comment est-il possible d’accompagner les jeunes et les femmes à s’adonner à des activités plus vertueuses et plus vertes outre que la coupe abusive et illégale du bois.
En attendant, déterminé à combattre la pression exercée sur les forêts des exploitants clandestins, «le Sénégal a préparé un dossier adressé à la Convention internationale sur le commerce des espèces de faune et de flore menacées. L’objectif est d’essayer d’inscrire le bois de véne dans cette convention pour limiter son commerce sur le plan international. A travers cette démarche, il faut dire qu’autant nous sommes en train de travailler sur le terrain, autant sur le plan institutionnel, nous avons pris les devants pour empêcher ce commerce international du bois de véne. En synergie avec les pays membres de la Cedeao, nous sommes en train de tout faire pour briser ce commerce.

Tapa TOUNKARA (Envoyé spécial à Kolda)

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